Ah, Venise … Un
voyage magnifique où j'ai tellement à vous dire. Et commencer par
le Palais des Doges – ou Palazzo Ducale – me semble essentiel,
présenter le cœur du pouvoir de Venise, avant de vous parler de la
ville en elle-même. La Palais n'est pas un palais au sens où on
peut l'entendre traditionnellement dans les cours européennes avec
les courtisans et centre de la vie nobiliaire. Bien sûr, le Doge y
vit avec sa famille, mais le Palais regroupe toutes les institutions
du pouvoir et de la justice. On y débat, juge, délibère et
emprisonne, tout cela derrière cette magnifique façade. On va
pénétrer ensemble dans l'enceinte de ce palais, bien sombre malgré
les dorures, mais si fastueux !
Je vais être directe :
j'ai adoré Venise, il entre directement dans mon top 4 des voyages,
avec Vienne, Copenhague et Lisbonne. J'ai apprécié chaque visite,
chaque endroit (malgré parfois un mal de dos de vieille) et
je vous ferais d'autres articles sur mes différentes visites. Mais
il y a trop à dire sur le Palais des Doges
pour le mettre entre deux autres endroits, une histoire trop riche,
de trop grandes institutions et trop d'émotions pour un seul
endroit. C'est simple, nous y avons passé environ cinq heures entre
la visite de la cour, une visite guidée et le palais en lui-même.
Nous n'avons pas souffert du monde (on a même eu la cour vide en
partant) mais il y avait tellement de choses à voir, de détails
qu'il fallait bien une demi-journée pour profiter. De plus, la
République de Venise possède un système complexe, très
bureaucratique, il peut s'avérer difficile de s'y retrouver.
Heureusement, j'avais mon spécialiste de Venise à qui poser des
questions (ciao Romain ♥).
Avant d'entrer dans la
visite, un petit historique s'impose. Enfin petit, j'espère que vous
n'allez pas faire une indigestion d'institutions vénitiennes !
La République de Venise voit le jour à la fin du VIIe siècle pour
s'éteindre en 1797 (on dit merci à Napoléon Bonaparte),
elle connaît une apogée durant tout le Moyen Âge grâce au
commerce en Mer Méditerranée, avant de connaître un déclin à
partir du XVIe siècle, puisque l'on fait davantage commerce avec
l'Amérique. C'est d'ailleurs davantage le Siècle d'Or espagnol,
puis hollandais, mais nous nous égarons. Si Venise perd des
territoires, elle se console dans une vie de débauche et de jeux,
mais se réfugie dans l'art et l'architecture, en témoignent les
églises, les palazzi (les palais) et l'île de Venise en
elle-même.
Les institutions
vénitiennes s’emboîtent toutes pour garder une cohérence et
vivre sous un régime tyrannique, comme ses voisins Milan ou Florence
(et on fait coucou aux Sforza et Médicis ! ), tout est
pensé pour garder la république intacte. Enfin, une république
oligarchique tenue entre les mains des grandes familles (dites
patriciennes), mais Venise peut se vanter d'avoir gardé le cap
toutes ces années. Je vais essayer d'être concise pour expliquer le
plus gros.
Tout en haut de la
hiérarchie, il y a le Doge. Avec son mandat à vie, on
préfère le prendre vieux pour changer régulièrement, histoire que
tout le monde en profite. S'il vit au Palais, il lui est interdit de
quitter Venise, ni d'aller au théâtre. Le Doge fait aussi partie du
Collège Suprême, avec six conseillers, le chancelier et le
président du Conseil des Dix. Et de là sont nommés trois
Inquisiteurs de l’État (rien à voir avec l'Inquisition de
brûler des hérétiques, même s'ils n'étaient pas les plus
sympas). Tout cela forme les organes les plus hauts de la
République.
Ensuite vient le Grand
Conseil, où sont réunies les familles patriciennes, environ un
millier de personnes. Il débat des propositions politiques,
promulguent les lois et nomment les hauts magistrats. Mais ce Grand
Conseil a lui-même de conseils de niche, spécialisés … Ah, les
joies de la bureaucratie ! D'ailleurs, c'est lui qui élit le
Doge au terme d'un conclave complexe et très technique ! Le
Grand Conseil élit tous les ans le Conseil des Quarante, soit
le tribunal de Venise, lui-même divisé en trois : la
criminelle, la civile et la nouvelle civile ; mais aussi le
Conseil des Dix – où ils sont en réalité dix-sept – chargé
d'assurer la sécurité de la Sérénissime, éviter la corruption et
garantir les institutions vénitiennes. Pour finir sur une dernière
grande institution, on doit parler du Sénat, élu en partie
par le Grand Conseil aussi, chargé de la politique extérieure et de
la nomination des ambassadeurs. On peut aussi citer la Chancellerie
et l'Inquisition, mais j'en reparlerais plus tard.
Quel est le rapport avec
le Palais des Doges ? Hé
bien, toutes ces institutions se trouvaient au Palais ! Donc
vous pouvez le devinez, cela ne laissait pas de place aux courtisans
venus danser et lancer des ragots comme dans les palais
traditionnels, même si le Doge était tenu d'organiser un
grand banquet chaque année. Sur ses bas de laine perso, la
République ne paie pas les teufs ! Maintenant que vous
comprenez la fonction du Palais, il est temps de vous en faire une
petite visite.
Pour nous, la visite a
été en deux parties : nous avons d'abord commencé par une
visite guidée d'endroits cachés, puis la visite classique. Je vais
faire pareil sur le blog. Alors, quelle est cette visite ? Il
s'agit d'Itinéraires Secrets, où l'on visite des salles
cachées du Palais des Doges et
la fameuse prison des Plombs. La visite commence au rez-de-chaussée
avec le Puits. Alors on arrête d'imaginer Blanche-Neige, on
est dans une prison horrible, au niveau du canal avec des conditions
de détention épouvantable : à dix dans une cellule de quatre,
avec juste une paillasse, l'eau pouvant entrer dans les cellules, les
chiffres des portes écrites à l'envers … Plus qu'une prison,
c'était vraiment l'Enfer. On sent d'ailleurs l’humidité à
l'intérieur et quand on entrait ici, pas sûr d'en sortir vivant …
Par de petits escaliers, on accède à la Chancellerie, et au
bureau du grand Chancelier. De petites pièces, avec des
panneaux de bois au mur, sobre et surtout, le lieu du secret absolu.
Et que faisait cette institution au milieu des autres ? Le Grand
Chancelier ne venait pas de familles patriciennes mais de la
bourgeoisie, permettant à la République d'avoir les bourgeois et
marchands de leur côté, enfin surtout leur argent. Il était nommé
à vie, et avait en remerciement la possibilité d'être anobli !
Pour simplifier, il est une sorte de Premier Ministre, ses
secrétaires rédigeaient l'ensemble des textes de lois, des traités
de commerce, de paix, constituaient des archives, bref la base de
toute bureaucratie. Et malgré tous ces papiers, rien ne devait être
vu dans son bureau, avec de nombreuses cachettes. Le rôle du
chancelier est compliqué, personne très important, mais en même
temps dans des bureaux secrets, il était la plaque tournante de la
République !
On continue la visite, et
après quelques bureaux de la Chancellerie, on passe … à la
salle de torture ! Sympa la transition, puis surtout de
travailler à côté du gars hurlant à la mort. Mais là encore, les
vénitiens ont pensé à tout : la torture et l'Inquisition
travaille seulement de nuit, laissant la Chancellerie et les autres
institutions travailler sans cris durant la journée. Et en plus, une
mise en scène impeccable. Le condamné est éclairé grâce à la
fenêtre en hauteur, les inquisiteurs sont plongés dans l'ombre, et
tout autour, des cellules de prisonniers spectateurs de la torture.
Un autre niveau de la justice. Pour la torture, rien de sanglant, que
de l'efficacité : le bourreau attache les mains dans le dos du
suspect par une corde suspendue au plafond, puis le soulève petit à
petit … Oui, ça devait faire mal et avec toute cette mise en
scène, les torturés devaient avouer souvent.
Là, on continue de
monter, jusqu'à se retrouver sous les toits. La fameuse prison
des Plombs. A première vue, c'est tout de même plus luxueux que
le Puits. Mais le toit du Palais des Doges
était recouvert de plomb (d'où le nom), cela donnait une
température glaciale en hiver, et une fournaise en été. Ici, les
prisonniers ont plus de confort, à condition qu'ils paient. Et qui
est le plus célèbre prisonnier de la prison ? Giacomo
Casanova ♥ Il est d'ailleurs le seul (avec son complice) à
s'être évadé de prison. Il faut que je vous raconte l'anecdote de
sa première évasion ratée : dans sa première cellule,
Casanova creuse un trou sous son lit, et pense s'échapper
ainsi, mais il est changé de cellule la veille de son évasion
prévue. Heureusement qu'il ne l'a pas fait, car juste en-dessous de
sa cellule se trouvait … la salle de l'Inquisition, où ces
messieurs travaillaient de nuit ! J'imagine bien la scène, où
il saute, arrive dans cette salle face à ce tribunal suprême
constitué de trois personnes, et où il fallait vraiment éviter
d'être en face. « La Quarantie, la prison ;
L'Inquisition, la sépulture » résume bien …
On redescend et on
atterrit dans les dernières salles via … une porte secrète !
En face c'est un placard basique, et celui là a l'air d'un placard
mais il cache un escalier. Malheureusement, la salle des Inquisiteurs
est en restauration, mais cette visite était très intéressante, et
donne un œil neuf sur le Palais des Doges,
avec ses secrets. Si vous voulez faire cette visite, il faut réserver
en avance, il y avait des visites en français deux fois par jour, je
vous donne le lien : Itinéraires Secrets.
Et maintenant, la visite
classique. Pour un palais où chaque salle est une institution
différente, on ne manque pas de classe. Des dorures, sculptures,
stuc, peintures à en perdre de la tête. La Salle du Collège,
du Conseil des Dix et du Grand Conseil sont bien sûr
les plus belles. Cette dernière est un véritable chef-d’œuvre
architectural rien qu'avec ses dimensions : 54 m de
longueur, 25 m de largeur, et 15,40 m de hauteur ! Pour
vous situer, elle est un peu plus courte que la Galerie François 1e
à Fontainebleau mais quatre fois plus large ! Même la Galerie
des Glaces ne la bat pas en largeur, il en faut deux pour arriver à
la largeur de la Salle du Conseil. Et au mur, cette énorme
fresque du paradis peinte par le Tintoret achève tout.
Si quelqu'un sait ce que fout l'armure d'Henri IV à Venise, je suis preneuse ! |
Je ne vais pas vous faire
un parcours détaillé du Palais des Doges,
mais toutes les salles ont une fonction précise, servent à une
institution, tout est calibré et pensé en terme de pratique, aussi
bien que de décorations avec les allégories sur les plafonds et le
choix des peintures. Encore une fois, on n'est pas chez des amateurs.
Par contre, il n'est pas
possible de voir les appartements du doge, servant de salles
d'exposition et ayant l'air en assez mauvais état. Par contre, une
autre visite guidée existe sur ses appartements privés, je ne l'ai
pas faite, l'occasion de revenir ! La visite se poursuit en
traversant le pont des Soupirs. STOP, je tiens à le dire, il
n'a rien de romantique ! Il sert de pont entre le tribunal et la
nouvelle prison, les soupirs étant ceux des condamnés regardant une
dernière fois Venise. Rien d'amoureux, de romantique, pas besoin de
faire des selfies devant, merci ! Par contre, la visite est très
intéressante. Par rapport aux deux prisons précédentes, les
prisonniers avaient un air frais et de la lumière, les conditions
s'étaient améliorées. Ce que j'ai adoré, comme toutes les
anciennes prisons (comme Vincennes ou La Rochelle), ce sont
les graffitis. Non, pas Kévin+Mathilde 2012, mais ceux des
prisonniers, sur les rebords de fenêtres ou ces immenses dessins sur
les murs et le plafond. Les portes sont petites (avec mon 1m61,
elles m'arrivaient à la taille), il faut se baisser pour admirer
cela, et je pense que beaucoup passent à côté.
Avec tout cela, nous y
avons passé l'après-midi et après une dernière fois à prendre en
photo la cour et admirer l'escalier des géants, nous sommes sortis
par la porte della Carta pour retrouver la Place Saint Marc
avec ses touristes.
Un graffiti de 1640 dans la cour ! |
Une visite dépaysante, instructive pour mieux
comprendre le système complexe de la République de la Sérénissime,
mais aussi un enchantement artistique ! Chanceux peut être,
nous n'avons pas souffert de la foule et avons pu prendre le temps de
tout regarder, admirer les tableaux, chercher les détails et prendre
notre temps. S'il n'y a qu'une visite à faire à Venise, c'est bien
le Palais des Doges ! Quant
au reste de mes visites, elles arrivent bientôt …
Et vous, avez-vous déjà
visité le Palais des Doges ?
N'hésitez pas à donner votre avis en commentaire et raconter
quelques anecdotes ♥
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