jeudi 1 février 2018

1e février 1908 : Assassinat du roi Carlos 1e du Portugal et du prince héritier



Carlos 1e du Portugal a vécu son règne dans la tourmente des révoltes, de la montée de l'anarchisme, de la haine des monarchies. On pourrait croire le Portugal tranquille, à l'abri des tourmentes européennes sur sa pointe ibérique. Que nenni, à tel point qu'il a fait les frais de la colère du peuple, ainsi que son fils, laissant la porte ouverte à la révolution et à la chute de monarchie. Retournons ce jour-là, sous le beau soleil lisboète de février 1908 …


La deuxième moitié du 19e siècle et jusqu'à la Première Guerre Mondiale, l'Europe s'enflamme à tout bout de champ. La France avait déjà commencé depuis 1789, mais a renversé plusieurs régimes en 1830, 1848 et avec la Commune de 1870. Celle de 1848 a inspiré bon nombre de voisins comme l'Autriche-Hongrie, l'Allemagne ou italienne, tout comme celle de 1830 a inspiré les belges. L'Espagne aussi s'est soulevée, les provinces italiennes se battent pour leur indépendance, et ça continue encore et encore … Pourquoi ? La Révolution industrielle a crée la classe ouvrière, une façon de vivre et de pensée différentes, les idées républicaines et socialistes naissent la plupart du temps dans ces milieux, une envie de vivre mieux, ne pas se tuer à la tâche pour des élites, au point d'utiliser la violence pour s'exprimer. Et quoi de mieux pour se faire entendre et voir que de faire un coup d'éclat ? Tuer une importante figure politique, voire même le « tyran » permet de servir sa cause et de devenir un héros, puis un martyr vu que l'assassin reste rarement en vie bien longtemps. Je ne vais pas faire la liste complète mais quelques membres de la royauté ayant fini assassinés : Alexandre II de Russie en 1881, Élisabeth d'Autriche (dit Sissi) en 1898, Humbert 1e d'Italie en 1900, François-Ferdinand d'Autriche en 1914, Alexandre 1e de Yougoslavie en 1934, … Enfin, vous avez compris.

Le Portugal, ce petit pays si loin de l'agitation, pensait sans doute être tranquille, loin de toute l'agitation européenne. Le roi Luis 1e et la reine Maria Pia sont populaires, l'industrie se développe lentement au Portugal, les investisseurs préfèrent courir la fortune au Brésil, et se spécialise surtout dans le tabac et le textile. Le parti républicain n'est crée qu'en 1871, il s'en prend notamment à la monarchie qu'il accuse de dépenses folles, de corruption et d'antipatriotisme, mais il reste peu entendu et inoffensif. Le couple royal n'a que deux fils, et l'aîné Don Carlos épouse en 1886 la princesse Amélie d'Orléans, fille du prétendant au trône de France, cela marque une embellie pour le royaume du Portugal, la dernière … Luis 1e meurt en 1889, et son fils devient Carlos 1e. Il doit faire face à la pression de l'Angleterre, son alliée un peu trop envahissante, au point de lancer un grand ultimatum en 1890, demandant aux forces portugaises de se retirer de certaines territoires africains au profit des britanniques. On va être clair, l'Angleterre est une énorme puissant mondiale, avec la reine Victoria à sa tête, le Portugal ne fait vraiment pas le poids et se retire. Mais cela ne plaît pas aux portugais, ils manifestent contre leur nouveau souverain, les journaux le descendent en flèche, se montrent violent envers la monarchie. Autant dire que le règne de Carlos 1e commence sous de mauvaises augures.



Et cela ne va pas en s'améliorant avec la faillite de certaines banques, l'augmentation de la dette publique et aussi l’exode rural donnant des quartiers précaires aux paysans venus dans les villes chercher du travail. Pourtant, Carlos 1e tente de faire sa place au soleil, voyage dans les différentes cours européennes pour négocier des traités et alliances politiques ainsi qu'économiques. Bon d'accord, il va surtout à Paris pour visiter les bordels chics avec d'autres figures royales comme Édouard VII d'Angleterre, mais passons. La tension monte au Portugal et en 1906, le roi choisit João Franco pour instaurer une sorte de dictature. Il dissout la Chambre une première, puis une seconde fois sans annoncer de date d’élections en 1907. C'est sans aucun doute le tournant fatidique pour la monarchie car toutes les forces politiques se retournent contre Franco, et donc contre le roi. Et c'est là que le point d'orgue de la tragédie arrive …

Ce 1e février 1908, la famille royale sort en carrosse découvert, ils rentrent de Vila Viçosa et traverse le Terreiro do Paço – aujourd'hui la Praça do Comércio – où il y a foule, comme souvent sur le passage de la famille royale. Parmi eux, deux hommes, Marcel Buiça, un professeur et Alfredo da Costa, agent commercial. L'un des deux s'accroche au véhicule et tire deux coups sur le roi, mortellement blessé. Il ne survivra pas. La reine Amélie, un bouquet de fleurs dans les mains offerts durant son voyage, s'interpose pour tenter de protéger ses deux fils, le prince-héritier Luis-Felipe, 20 ans, et Manuel, 18 ans. Mais le second sortit une carabine de dessous sa cape, vise Luis-Felipe et tire deux coups à son tour. Un autre coup se fit entendre, blessant le prince Manuel au bras. Tous les trois furent abattus sur le champs par la garde. Le cocher emmena tout l'équipage de se cacher dans l'arsenal non loin, mais le roi Carlos 1e était déjà mort, et le jeune prince ne tint que quelques heures de plus.

Couverture du Petit Illustré du 16 février 1908 (Gallica BNF)
Je laisse au Petit Illustré du 16 février 1908 le dernier mot de l'histoire :

« L' admiration, la pitié, le respect de tous vont à la pauvre reine frappée doublement dans son coeur d' épouse et de mère. La nation portugaise toute entière pleure avec elle, car si, à la suite de mesures politiques dont les assassins ont tiré parti pour organiser et perpétrer leur crime, la popularité du roi avait subi naguère quelques atteintes, celle de la reine demeurait entière. »

Les corps du roi et du prince sont exposés à l'église São Vicente, puis ils sont inhumés dans la nécropole royale dans le même monastère. Malgré la tension, les familles royales d'Europe se sont déplacées ou ont envoyé un représentant, mais l'atmosphère reste lourde. Et elle demeura ainsi jusqu'à la fin de la monarchie, le 5 octobre 1910, jour où la république est instaurée. Les deux survivants de l'attentat, le jeune roi Manuel II et sa mère la reine Amélie sont contraints de fuir, à Gilbratar tout d'abord (possession britannique) puis au Royaume Uni, à Twickenham, où les Orléans vivent en exil, puis la reine Amélie s'installe en France. Son fils Manuel meurt sans descendance en 1932, et Amélie en 1951. Ils sont tous deux inhumés à São Vicente, auprès du roi et du prince assassinés … Aujourd'hui, on peut voir une plaque sur la Praça do Comércio relatant ce triste événement.



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