vendredi 24 novembre 2017

Histoire de la Belgique 6 : La Belgique de Léopold II



Dans le précédent épisode de l'histoire belge, je vous parlais de la création du royaume de Belgique avec son premier roi, Léopold 1e. Né d'une révolution et d'un désir d'indépendance après avoir été sous la coupe d'à peu près toute l'Europe, la Belgique a enfin un véritable territoire, une administration, des frontières et un souverain propre. Mais après la mort de Léopold 1e, que se passe t'il ? Comment continuer sur la lancée d'un État si jeune, propice à beaucoup de débordements ? C'est l'objet du jour, en particulier avec le second souverain, Léopold II.


Que de chemin parcouru par ce petit bout de territoire. De l'Antiquité au Moyen Âge avec l'expansion bourguignonne, toute l'époque moderne avec la domination Habsbourg, une fin de siècle troublée et un 19e siècle difficile, puis enfin la naissance du royaume de Belgique en 1830. Le premier roi des Belges, Léopold 1e, a du construire les bases d'un État nouveau, et s'en est plutôt bien sorti … sauf au niveau de son héritier. En effet, le souverain et Louise d'Orléans son épouse eurent quatre enfants : Louis-Philippe, Léopold, Philippe duc de Brabant et la princesse Charlotte. Le premier décède à un an, Philippe est à moitié sourd, refuse les responsabilités comme devenir roi de Grèce (et il eut bien raison) ainsi que de Roumanie, et ne veut pas épouser Isabelle de Bragance, héritière du trône impérial du Brésil. Quant à Charlotte, elle fit un beau mariage avec Maximilien d'Autriche, frère de l'empereur François-Joseph, mais son ambition conduira son mari à sa perte et elle dans la folie. Ambiance dans la famille.


Un prince difficile


Léopold, né en 1835, porte l'espoir de la descendance de cette jeune monarchie, mais ne va pas rendre la tâche facile. Son éducation stricte se fait sous l'autorité de son père, Léopold 1e n'étant pas réputé pour être un père affectueux et présent, bien au contraire. Sa sévérité, son exigence et son absence vont créer chez le futur Léopold II un caractère rebelle, indépendant et intraitable, leur relation se montre tendu et cela ne s'arrange pas après le mort de la reine Louise en 1850.

Léopold, duc de Brabant par Gustaf Wappers, 1855 (Stadhuis Anvers)

Le roi Léopold 1e cherche pour son fils un parti digne de ce nom. Après tout, il est un spécialiste pour les bonnes unions, puisqu'il a marié ses neveux Albert à la reine Victoria du Royaume-Uni et Ferdinand à la reine Marie II du Portugal. Le futur Léopold II se marie en 1853 avec Marie-Henriette de Habsbourg-Lorraine, archiduchesse d'Autriche, fille de l'archiduc-comte palatin de Hongrie Joseph-Antoine d'Autriche et de Dorothée de Wurtemberg, autant dire que sur le papier, c'est un très beau mariage. Marie-Henriette est une cavalière émérite, passionnée de chevaux au point de leur prodiguer elle-même des soins au mépris des convenances de l'époque, une demoiselle joviale, pleine d'entrain et toujours de bonne humeur. Mais son mariage aura raison de sa joie de vivre. Les caricaturistes voient dans ce mariage celui d'un « palefrenier » et d'une « religieuse » ... la « religieuse » étant Léopold, montré comme coincé et froid.

Henriette de Habsbourg-Lorraine, par Franz-Xaver Winterhalter, 1863-5 (Collection royale)

Heureusement, il y a un point positif dans cette union : Léopold peut enfin voyager, quitter cette Belgique trop étriquée pour lui et durant son voyage de noces, le couple passe par tout un tas de pays : Italie et notamment Venise, Égypte, Palestine, Liban, Syrie, Chypre, … Alors que son père n'arrive pas à trouver de colonie pour la Belgique, le prince voyage – profitant pour laisser son épouse à Bruxelles – à la recherche du parfait territoire, et cela deviendra son obsession durant son règne.

Le duc et la duchesse de Brabant dans Le journal des Dames et Demoiselles, 1854 (BALaT)

En 1865, Léopold 1e meurt, et son fils devient Léopold II de Belgique. Son règne est l'un des plus controversés de l'histoire belge. Souverain intraitable, ferme sur ses positions, il se sent à l'étroit dans ce petit royaume impossible à agrandir, il est comme un « géant logé dans un entresol ». Il a des ambitions pour la Belgique, se passionne pour les sciences et les technologies de l'époque, équipe le royaume du chemin de fer, s'intéresse au Cana de Suez. Il donne des libertés à son peuple, comme la création Parti Ouvrier Belge en 1885 ou le vote au suffrage universel en 1893.

Une obsession coloniale


Mais lui veut voir plus loin, ce système colonial le fascine et il veut, tout comme ses voisins européens, posséder une terre à l'autre bout du monde.

« La Belgique doit devenir la capitale de l'Empire belge qui se composera, Dieu aidant, des îles du Pacifique, de Bornéo, de quelques points de l'Afrique et de l'Amérique, et enfin de portions de la Chine et du Japon. Voilà mon but, je suis le seul à le poursuivre, en surexcitant la fibre nationale, je me crée des apôtres et des soutiens. »

Finalement, une terre en Afrique, le Congo, trouve grâce à ses yeux, une terre de 2,5 millions de km². C'est la naissance de l’État « indépendant » du Congo. En 1878, la Belgique crée l'Association internationale du Congo dont la vocation est principalement économique. Il faut l'avouer, personne ne croit en cette réussite, même la reine Marie-Henriette lui dit « Ton Congo va nous ruiner ! ». Et pourtant, le Congo regorge de caoutchouc, matière devenue indispensable en période industrielle, et les prix flambent. En 1885, Léopold II peut ajouter une seconde couronne à la sienne, qu'il ne devra qu'à lui-même, celle de roi du Congo.

Affiche pour la Manifestation Nationale pour fêter l'annexion du Congo à la Belgique (BALaT)
Pourtant, cette exploitation intensive du caoutchouc donne lieu à une impopularité du souverain. Il régne au Congo une politique inhumaine, avec des châtiments corporels pour les esclaves, comme les mains coupées à ceux qui refusent de travailler (difficile de travailler après), même les enfants. Léopold II était-il au courant ? D'après lui, il faisait confiance au personnel local, beaucoup trop zélé, et le souverain n'aurait eu qu'une vision tronquée de la situation, faute d'attention. Pourtant, il est investi dans ce projet de colonie, au point d'organiser une grande exposition coloniale pour montre aux belges les bienfaits de la colonisation. Le Congo ne sera d'ailleurs reconnu colonie belge qu'en 1908, un an avant la mort de Léopold II, c'est dire l'acharnement !

Une vie tourmentée et si lucide


Que ce soit au niveau privé et public, Léopold II se montre complexe, sinueux et assez difficile à cerner. Une chose est sûr, il aime les femmes. De préférence petites, brunes et boulottes, il les appelle ses « Noires » et se montre généreux tant qu'elles ne s'attachent pas. L'adultère n'est pas un problème pour lui, délègue à son valet la tâche redoutable de « rabattre le gibier ». Quel romantisme … La reine Marie-Henriette meurt en 1902 après des années de solitude, et Léopold II se retrouve seul, vu qu'il n'aime pas vraiment sa famille non plus. Alors amour ou peur de vieillir ? Toujours est-il qu'il s'éprend d'une jeune femme de dix-sept ans, Blanche Delacroix. Il la fait baronne de Vaughan (un titre fictif), il l'appelle « Très belle » et elle « Très vieux » et ont ensemble deux fils,Lucien et Philippe. Ce dernier naît avec une malformation du bras, ses détracteurs disent que l'atrophie de son fils paie pour les traitements infligés aux Noirs du Congo. Les gens, toujours très sympathiques …

Je disais qu'il n'aimait pas sa famille et en effet, il n'est tendre avec personne. Il reproche à son frère Philippe son manque d'ambition, sa sœur Charlotte sombre dans la folie après l’exécution de Maximilien d'Autriche au Mexique et il n'a pas d'héritier. Son seul fils, nommé aussi Léopold, meurt en 1869 à l'âge de neuf ans seulement. Quant à deux de ses filles, il les appelle « les monstres » car elles le déçoivent. Qu'ont-elles fait de si grave ?
L'aînée, Louise, fait un maigre mariage dynastique (mais riche en fortune) avec son cousin Philippe de Saxe-Cobourg, part vivre à Vienne, provoque des scandales avec son tempérament léger, sa tendance à la dépense, prend un amant et son mari la fait enfermer pour folie, divorce pour vivre avec l'homme qu'elle aime et passe sa vie à voyager pour fuir ses créanciers.
La princesse Stéphanie fait un très beau mariage, avec l'archiduc Rodolphe d'Autriche, héritier du trône impérial d'Autriche-Hongrie. Mais ce dernier meurt à Mayerling en 1889 avec sa maîtresse. Léopold II reproche à sa fille de ne pas avoir tenu son mari. Elle se remarie en 1900 avec le comte Elemér Lónyay. Elle perd ses titres impériaux, sa fille et son père rompent contact avec elle.

La cadette Clémentine échappe à ce sort, remplit les fonctions de sa mère, qui a quitté la Cour de Bruxelles, et peut jouir d'une relative liberté que peu de princesses ont à cette époque. Mais tout cela a un prix, car la princesse devient la canne de vieillesse de son père, à tel point qu'il lui refuse une union avec le prince Victor Napoléon Bonaparte car il veut garder sa fille près de lui, prenant pour excuse qu'il ne veut pas compromettre les relations diplomatiques entre la Belgique et la République Française. La jeune femme attend la mort de son père pour convoler avec son bien-aimé en 1910 …

Un autre problème s'impose aussi, le choix de l'héritier. Son fils décédé, Léopold II se tourne vers son frère Philippe, puis les fils de celui-ci. Baudoin représente le parti idéal aux yeux difficiles du souverain, mais le jeune homme a la mauvaise idée de mourir en 1891 d'une pneumonie. C'est donc à Albert, un garçon un peu timide et gauche, que revient la responsabilité de devenir le troisième roi des Belges, et Léopold II est déçu de ce choix, bien évidemment.

S'il est aussi intransigeant en privé, il l'est tout autant en public. Le souverain se bat pour continuer la politique de neutralité, appuie l'édification de fortifications dans les grandes villes et veut absolument imposer le service militaire obligatoire. A t'il senti le vent tourné en Europe ? Dix ans avant l'attentat de Sarajevo qui mettra le feu aux poudres en Europe, Léopold II se démène pour que son royaume résiste au futur si sombre. Il institue la Donation royale qui gérera la patrimoine (environ 4 milliards de francs belges de l'époque), puis crée dans la foulée de Niederfüllbach pour ne pas voir s'éparpiller sa fortune. Et à sa mort, il légua à ses filles ce qu'il avait hérité de son père, soit 15 millions, pas plus. Louise et Stéphanie intenteront un procès pour obtenir plus, mais toutes les deux perdront.

Il meurt le 17 décembre 1909, à 74 ans, quelques jours après la promulgation du service militaire obligatoire et cinq jours après son mariage morganatique avec Blanche Delacroix. Le souverain voulait un enterrement en toute intimité, mais celui lui est bien sûr refusé et ses funérailles sont réalisées en grande pompe avant de reposer dans la crypte royale de l'église Notre-Dame de Laeken à Bruxelles. Second roi des Belges, Léopold II est l'une des personnalités les plus controversées de l'Histoire de la Belgique : haine, admiration, respect, rejet, peur, incompréhension, moqueries … Le Congo a été le gros point noir de son règne, et Mark Twain dit que Léopold II a été « Le roi avec 10 millions de morts sur la conscience ». Mais après l'ombre, vient la lumière parait-il, et la Belgique le verra en la présence d'Albert 1e, leur nouveau roi …  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire