jeudi 16 février 2017

Visite de l'Hôtel de Brienne, Ministère de la Défense



Une initiative du tonnerre (expression à l'ancienne, fille des années 80) a été lancée entre le Ministère de la Défense et le Centre des Monuments Nationaux : organiser des visites guidées deux fois par mois de l'Hôtel de Brienne, siège dudit ministère. Bonne nouvelle, car à part pendant les Journées du Patrimoine, impossible d'entrer dans les locaux du gouvernement. Et, il faut l'avouer, pénetrer dans des hôtels particuliers parisiens, c'est ma petite passion ! Donc, on repart pour le 18e siècle, on va aussi croiser les Bonaparte, Georges Clemenceau et même Charles de Gaulle pour une riche visite, et en prendre pleins les yeux ! Alors, suivez moi …


Je tiens à le dire de suite : je ne parlerais pas de politique actuelle ici. Ce n'est ni l'objet de l'article ni celui de la visite. On va parler surtout Histoire et patrimoine, pour ne pas changer. Voilà, maintenant, on peut commencer. Depuis la mi-janvier, deux fois par mois, l'Hôtel de Brienne, actuel lieu du Ministère de la Défense, ouvre ses portes aux visiteurs pour une visite guidée des lieux. Forcément, ça m'a parlée, ainsi qu'à mon amie Emma de Vague Culturelle, et ni une ni deux, nous avons réservé nos places à la visite pour le samedi 11 février.


L'histoire de l'hôtel particulier


Alors qu'au 17e siècle, la tendance est de construire un hôtel particulier dans l'actuel quartier du Marais, non loin de la place Royale (aujourd'hui, place des Vosges) pour se trouver à proximité du Palais du Louvre et du Palais Royal. Mais quand Louis XIV s'installe définitivement à Versailles en 1682, il faut avoir une route pour se rendre directement dans la demeure royale. Alors, côté rive droite, on construit vers le faubourg Saint-Honoré (comme l'hôtel de Charost), et côté rive gauche vers le faubourg saint Jacques. De ce côté-ci, les rues Saint-Dominique, de Grenelle et de Varenne sont le viviers des ministères et des ambassades dans de magnifiques hôtels particuliers du 18e siècle.

Plan de Paris de 1739, par Louis Bretez et Claude Lucas (Harvard Library)
 L'hôtel de Brienne se trouve en bas à gauche, "hôtel de Conty""
En 1724, Jeanne-Agnès Berthelot de Pléneuf, marquise de Prie se fait construire cet hôtel par son amant, Louis IV Henri de Bourbon-Condé, appelé aussi duc de Bourbon (alors qu'il est aussi prince de Condé, un meilleur titre pour se la péter), membre du Conseil de Régence puis ministre du roi, cousin du jeune Louis XV. Couple ambitieux et un peu diaboliques, ils veulent écarter du pouvoir le cardinal de Fleury, principal ministre de Louis XV et la marquise de Prie se sert de la reine Marie Leszczynska. Ces manigances ne mènent qu'à la disgrâce et l'exil, le duc de Bourbon dans son château de Chantilly, et la marquise en Normandie dans son château de Courbépine, laissant à l'abandon l'hôtel en travaux. Acheté et vendu à plusieurs reprises, il est acquis par la princesse de Conti, Louise-Elisabeth de Bourbon, qui entreprend de grands travaux et y vit jusqu'à sa mort en 1775. Légué à son neveu, celui-ci le revend au comte de Brienne, Louis-Marie-Athanase de Loménie. D'ailleurs, deux frères Brienne y vivent : l'acheteur est le ministre de la guerre de Louis XVI en 1787 et Étienne-Charles de Loménie de Brienne, archevêque de Sens ainsi que contrôleur général des finances.

Avec la Révolution, Louis a été guillotiné le 10 mai 1794, en même temps que Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI, et Etienne-Charles a été arrêté, mais meurt d'une crise d'apoplexie le 19 février 1794. L'hôtel est bien sûr confisqué, rendu à la comtesse après la chute de Robespierre, puis revendu. Puis en 1802, Lucien Bonaparte, frère de Napoléon Bonaparte, achète l'hôtel et le décor dans le style de l'époque, y dessine ses propres meubles, mais n'y vit que deux années. En 1804, disgracié par son frère, il est obligé de le vendre à sa mère, Laetizia Bonaparte, dit « Madame Mère ». Pourquoi disgracié ? Oh, il a épousé une femme dont il était amoureux, sans le consentement de Napoléon, quelle idée … Donc Madame Mère continue la décoration dans le style dit Empire, puisque fin 1804, nous sommes sous le Premier Empire, jusqu'en 1815 où elle se casse car son fils part en exil et il en va de même pour tous les Bonaparte.

A partir de la Restauration, l'hôtel de Brienne devient la résidence du ministre de la Guerre, puis celui de la Défense (terminologie différente depuis la Seconde Guerre Mondiale, cela fait moins bourrin je pense, plus diplomatique). Georges Clemenceau y vécut, et a organisé la victoire française de 1918. On peut signaler la présence du général Charles de Gaulle, secrétaire d'État à la guerre en juin 1940, puis comme chef du gouvernement provisoire du 25 août 1944 au 26 janvier 1946. Aujourd'hui, les différentes infrastructures du ministère de la Défense sont regroupées à Balard (dans le 15e arrondissement) mais le ministre de la Défense a toujours son bureau à l'hôtel de Brienne.

La visite de l'hôtel particulier


Avant de rentrer, il faut montrer patte blanche : son billet (réservation obligatoire), sa carte d'identité, contrôle à l'entrée, et le guide fait même l'appel, sait on jamais. Après tout cela, nous voici dans la cour de l'hôtel particulier, et l'on se sent un peu privilégié, il faut bien l'admettre. Le guide nous fait un rapide historique des lieux, et enfin, nous entrons dans l'hôtel particulier. Le hall est majestueux avec et on peut voir une arcade, ancienne porte menant à un salon, aujourd'hui muré. Le rez-de-chaussée ne se visite pas car s'y trouve le bureau du ministre et sans doute de quelques uns de ses collaborateurs, secret défense (ou alors Jean-Yves Le Drian joue à Dance Dance Révolution dans son bureau et refuse de ranger son tapis de danse). Alors direction l'immense escalier d'époque, absolument magnifique avec les la balustrade en fer forgé. Le guide nous a fait imaginer Napoléon 1e montant les escaliers à toute allure pour voir sa maman, et parler politique familiale. D'ailleurs, une copie du tableau de Napoléon Bonaparte au col Saint Bernard nous attend, rappelant la présence des Bonaparte dans ses lieux.

Le mobilier des différentes pièces proviennent du Mobilier National, sans forcément de rapport avec la décoration d'époque. Aux murs, des portraits de militaires, qui n'ont pas forcément passé la porte de l'hôtel, mais cela est fait pour rappeler la portée militaire des lieux. J'ai particulièrement adoré le salon demi-ovale, tout en doré, avec de magnifiques cheminées, et un mobilier de style empire très chic, avec vue sur le jardin privé du ministère. Jardin où il y avait une porte côté de la rue de l'Université appelée « porte des amours » où arrivaient discrètement les maîtresses, ou filles d'un soir, des propriétaires des lieux. D'ailleurs dans la jardin, un énorme marronnier impressionne par sa taille. Il y a de quoi, il est tricentenaire ! Et durant l'Occupation, il s'agissait d'un lieu de rendez-vous pour les résistants, car l'hôtel n'a pas été occupé par les nazis.










 L'hôtel se montre de taille modeste, avec de beaux tableaux et mobiliers, notamment le salon empire où l'on sent bien la trace de Madame Mère. Un petit portrait de son fils est d'ailleurs toujours dans son petit cadre depuis 1815 et toujours sur la cheminée.






Le guide a insisté pour faire sa visite dans un ordre chronologique, donc l'avant-dernière pièce concerne celle de Georges Clemenceau. Restaurée en 2014 par le ministre Jean-Yves Le Drian, la pièce retrouve son atmosphère et son décor de début de siècle, avec les bureaux de Clemenceau : le principal et son double cartonnier. Ce double cartonnier, entièrement démontable (Ikea d'Empire), est appelé Daru, du nom du secrétaire général de la guerre sous l'Empire, a été témoin de la bataille de Moscou en 1812, et a été ramené en France. Un bureau voyageur, toute une histoire ! Dans des vitrines, on peut aussi admirer quelques effets de Clemenceau, sa bibliothèque, des reproductions de cartes … tout cela donne une belle atmosphère à la salle, avec un goût d'histoire





La visite s'achève dans le bureau qu'occupait Charles de Gaulle. Ce dernier n'est pas dans l'état exact, mais il donne une certaine idée de l'esprit De Gaulle, avec quelques effets dans la bibliothèque, mais surtout des documents de Napoléon 1e, le grand stalkeur du jour. On y aperçoit un portrait du Maréchal Ney, maréchal d'empire, vêtu d'une fourrure offerte par le tsar de Russie, la base.







La visite a duré environ 2 heures, notre guide était drôle, très pointilleux sur les techniques, les artistes mais aussi drôle et avec bons nombres d'anecdotes. Non seulement, on en prend pleins les yeux mais aussi plein la tête. Je conseille vraiment, si vous ne savez pas quoi faire un samedi matin. Pour l'instant, les visites s'arrêtent au 29 avril, avec les élections présidentielles, mais elles valent le coup. Réservez vite s'il reste de la place !

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