vendredi 12 août 2016

Histoire de la Belgique (4) : le temps des révolutions



On continue sur notre lancée belge. Après avoir passé l'Antiquité, traversé le Moyen Âge, puis les siècles de domination Habsbourg, nous voici à la fin du XVIIIe siècle. Pour faire un petit récapitulatif : devenus les Pays Bas, séparés d'une partie de leurs terres désormais appelées les Provinces Unies, les états belges sont passés de la domination espagnole à la domination autrichienne (même famille mais un peu moins consanguins, quoique … ). Dans la deuxième moitié du siècle, l'empereur Joseph II, archétype du despote éclairé, entend modifier ces états à grands coups de réformes. Non pas que le fond semble incorrect, mais la forme oui : l'empereur oublie les particularismes, décide et s'en fout des mécontents, il ne voit pas à échelle de la population.


La colère gronde et une première révolte éclate en 1787, rapidement éteinte à coups de concession (et un peu de bâton). Mais en cette fin de siècle, c'est l'Europe qui s'enflamme, notamment en France, avec la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Et sans doute que cet événement a eu un impact considérable sur la future Belgique …

Belgique libre : l'éphémère révolution brabançonne

Au fil du temps, l'opposition à Joseph II se fait de plus en plus forte, et même générale. Les états exigent le retrait des réformes administratives et judiciaires, mais encore une fois, l'empereur s'en tape. Seulement l'insurrection se fait de plus en plus pressante. Joseph II, qui doit aller taper du turc en Hongrie, ne peut pas se battre sur deux flancs, et fait quelques concessions mais ne veut pas toucher à l'esprit de ses réformes. Autant essayer de faire un trou dans l'eau en somme.

Seulement, la révolution est divisée en deux camps :
  • un parti plutôt conservateur (ou statiste), dirigé par un membre de la famille patricienne, Henri Van der Noot, a l'ambition de conserver les privilèges tout en annulant les réformes impériales. Il bénéficiait de l'appui du clergé, des métiers et de grandes villes comme Bruxelles, Anvers et Louvain.
  • un parti plus progressiste (ou vonckiste), sous la coupe d'un avocat du Brabant, Jean-François Vonck. Dans le courant des lumière, il exige des réformes plus radicales, comme par exemple la réunion d'une Assemblée Nationale.

Difficile de s'entendre avec de telles idées, pourtant Van der Noot et Vonck créent le Comité Patriotique, dans le but d'unir leurs forces contre leur ennemi commun : Joseph II. Seulement, il s'agissait surtout d'une apparence : Vonck crée une société secrète Pro Aris et Focis (pour les autels et les foyers) pour mettre en place une résistance armée dans les Pays Bas. S'ils ne peuvent pas compter sur des soutiens étrangers, leur armée fait un peu pâle figure face à l'impériale. Et pourtant, à la bataille de Turnhout, les révolutionnaires gagnent le 27 octobre 1789 !

Traité d’Union des Etats belgiques unis (La Wallonie, son histoire)
Après tout s'emballe : on oublie totalement les vonckistes, et c'est le parti statiste avec Henri Van der Noot qui sont auréolé de victoire ! Le 18 décembre 1789, ce dernier fut couronné de lauriers au théâtre de la monnaie de Bruxelles. On déclare la déchéance de l'empereur et le 31 janvier 1790 est crée les « États belgiques unis ». Pour la première fois, le nom de Belgique est accolé au territoire. Pas question de centraliser, on garde les prérogatives des provinces, la religion catholique est confirmée comme religion d'état. Au niveau de l'organisation, toutes les semaines est élu un président, pas question d'avoir un seul homme à la tête du pays ! Pendant ce temps là, Joseph II meurt le 20 février 1790 sans avoir pu reconquérir ses territoires et aurait dit dans son dernier souffle « Les belges m'ont tué ».Mais n'allez pas croire que tout est rose au pays de la démocratie. Les vonckistes passent à l'action et Bruxelles s'embrase dans un conflit, une guerre civile même ! Si la nouvelle république n'a pas beaucoup de moyens, elle se permet d'envoyer ses opposants en exil.

Pendant ce temps, dans la principauté de Liège, rien ne va plus non plus. Je vous en ai pas vraiment parlé dans l'article précédent mais Liège résiste au protestantisme, et connaît une période assez prospère, se montrant neutre dans la plupart des conflits. Depuis le début du XVIIe siècle, les princes-evêques sont pour la plupart issus de la famille de Bavière, dont la plupart se moquent assez de leur territoire. Pire encore, Maximilien-Henri de Bavière va autoriser Louis XIV à passer avec ses troupes pour attaquer les Provinces Unies en 1672, rompant ainsi avec la neutralité politique de la principauté. Des soulèvements furent réprimés et le prince-évêque rédigea le Règlement de 1684 où, entre autre, il abolit les milices bourgeoises, le prince a le seul pouvoir de faire les règlements et lever les taxes et la perte des privilèges de certains corps de métier. Ambiance.

Mais voilà, le pouvoir ecclésiastique fait de plus en plus de mécontents, sans doute le fruit du rayonnement des Lumières car on y imprime des essais de Montesquieu ou Voltaire. Si le prince-évêque François-Charles Velbrück redore le blason du clergé, notamment par la création de la Société libre d'émulation en 1779. Mais tout s'écroule à sa mort en 1784, son successeur César-Constantin Hoensbroeck (ça sent le nom de vilain dans les vieux films je trouve) fait un grand saut un arrière dans la mentalité. De plus, l'hiver 1788-89 est rude, le pain vient à manquer, de quoi attiser davantage les mécontents, déjà bien nombreux. Le 18 août 1789, le peuple liégeois se soulève et prend d'assaut l'hôtel de ville et la citadelle. Le 26 août, une Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen pour le Franchimont voit le jour, plus radicale que celle de France car elle omet le droit de propriété, affirme que le principe de la souveraineté repose dans le peuple et non dans la Nation. Le 17 août 1790, le prince-évêque est déchu de ses fonctions et la nouvelle nation se constitua une petite armée.

 Archiduc Léopod et Joseph II, par Pompeo Batoni (Kunsthistorisches Museum Vienne)
Mais alors cette liberté et ces révolutions ont-elle duré ? Non. Pour les États belgiques unis, il a fallu négocier avec Léopold II, frère du défunt empereur. Il se montre plus malin et plus stratège en matière politique : promesse d'amnistie et suppression des réformes impopulaires sont des mesures séduisants. L'empereur s'engage à gouverner comme sa mère l'impératrice Marie-Thérèse en respectant les particularismes, et pour le prouver, il envoie l'armée, normal. Comme aucun territoire étranger n'a voulu porter secours à cette petite république isolée, il n'y a pas d'autre choix. Adieu Belgique républicaine, Léopold II restaure les Pays Bas méridionaux dés fin 1790 et replace sa sœur et son beau frère Marie-Christine d'Autriche et Albert de Saxe-Teschen comme gouverneurs Quant à Liège, là encore, Léopold II intervint pour leur foutre une raclée et remettre Hoensbroeck sur son trône. L'un comme l'autre décident de se venger et pourchassent les opposants au régime. La plupart s'enfuient … en France.

Belgique française : une annexion difficile et bienfaitrice

La France justement … Pour faire court, la monarchie chute le 10 août 1792 et est instaurée la Première République, que l'on connaît sous le nom de Convention Nationale, et avec la mort de Louis XVI, elle s'engage un conflit armé entre la France et de grandes puissances européennes, notamment la Prusse et le Saint Empire ( Léopold II est aussi le frère de Marie-Antoinette). Si tout le monde pensait que l'armée républicaine allait rapidement se faire battre et que la république n'allait pas résister, ils eurent tort.

Une première tentative d'invasion des états belges eut lieu avec la bataille de Jemmapes le 6 novembre 1792 : le général français Dumouriez arriva avec 40.000 hommes et le pays fut à lui. Mais le peuple ne répondit que faiblement à l'appel. Il fit quelques réformes, comme par exemple le 16 novembre 1792, la libre circulation sur l’Escaut, fermé depuis la création des Provinces Unies. Cela fut perçu par ces dernières et la Grande-Bretagne comme une agression, et ils rejoignirent la Prusse et le Saint-Empire dans la grande coalition contre la France. Le 18 mars 1793, la France est vaincue contre ses ennemis à la bataille de Neerwinden, et les Pays Bas redevinrent autrichiens. Grand bien leur fasse, en France sévissait la Terreur perpétuée par les Montagnards, notamment Robespierre.

Justement, à Paris, les exilés belges tenaient à faire entendre leurs voix, en fondant en avril 1792 le Comité révolutionnaire des Belges et Liégeois unis, avec un manifeste où ils prônent une république belgo-liégeoise. Certains membres du comité se sont battus aux côtés du général Dumouriez dans les différentes batailles pour récupérer la Belgique. Alors que pendant ce temps, le nouvel empereur François II (fils de Léopold II) fait son entrée à Bruxelles sous les ovations chaleureuses. Mais à Liège, autre son de cloche : le nouveau prince-évêque, François-Antoine-Marie de Méan, se distingue par ses mesures réactionnaires, au grand dam de la population. Encore un qui n'a rien compris …

D'ailleurs, les français retournent sur le champ de bataille de l'Europe, bien décidés à libérer leurs amis belges de la tyrannie impériale. Les autrichiens cherchent à protéger les trésors ecclésiastiques et on expédie à Vienne le trésor de la Toison d'Or à titre provisoire (spoiler : il est toujours à Vienne). La bataille de Fleurus eut lieu le 26 juillet 1794 et est remporté par l'armée révolutionnaire. Jusqu'au décret du 9 vendémiaire an IV (ou 1e septembre 1795), les états belges (ainsi que la principauté de Liège) sont traités avec mépris et violences. La France fit payer cher ces territoires, par une contribution quatre fois supérieurs à ce qu'ils versent annuellement à l'empire, réquisitionnent de tout genre (cuirs, draps, trésors ecclésiastiques …) et entame une persécution religieuse. La république traite ses nouveaux territoires sans prendre en compte les particularismes, ni même les frontières. En créant les neuf départements, ils ne respectent pas les limites des anciennes principautés, par exemple le Brabant et la Flandre sont scindés. Ils imposent le calendrier républicain, la nouvelle monnaie et l'administration à la française. On supprime les ordres religieux et des ventes aux enchères des biens de l’Église sont organisés. Il y a aussi la conscription militaire obligatoire pour tous les jeunes de 20 à 25 ans pour s'enrôler dans l'armée française. A nouveau le ton monte et la guerre civile s'abat sur la Belgique annexée.

La révolution s'éteint avec le Consulat en 1799. Napoléon Bonaparte devient premier Consul avec le coup d'état du 18 brumaire (9 novembre 1799) et entend, tout en gardant les acquis de la Révolution, apaiser les tensions. Il y arrive notamment avec le Concordat de 1801. Conclu entre le pape Pie VII et Bonaparte, il met fin à la persécution religieuse et de réintroduire le clergé en politique. Les territoires comptent cinq diocèses : Malines, Tournai, Gand, Namur et Liège. L'année d'après, en 1802, le culte catholique est officiellement rétabli. Il s'occupe de l'éducation en ouvrant des lycées, une école de droit à Bruxelles et même en 1806, l'université impériale. Les états belges, à présent français, vivent au gré des réformes du consul à vie et bientôt empereur, notamment avec le Code Napoléon, appelé aujourd'hui Code Civil. Il encourage l'économie, puisque la France subit un blocus continental, il faut trouver de nouveaux moyens de faire tourner l'économie. C'est à cette époque que la mécanisation de l'industrie connaît un grand essor, surtout dans le domaine textile et métallurgique, et le nom de William Cockerill est associé à cette modernisation. Cette industrie sert surtout à l'armée, puis Napoléon Ie veut conquérir l'Europe, et il y arrive bien : son empire va de la Hollande, gouverné par son frère Louis Bonaparte, jusqu'au royaume de Naples, où règne son beau-frère Joachim Murat.

Napoléon Bonaparte en Premier Consul, par Antoine Jean Gros, 1802
Si le caractère social n'était pas exemplaire, notamment par l'absence de protection légal du prolétariat, l'artisanat mis en arrière plan, on ne peut pas négliger l'impact de cette annexion sur la Belgique actuelle. Bruxelles s'impose comme la capitale, et la Wallonie connaît une grande richesse grâce à l'industrie. Mais quand Napoléon abdique le 11 avril 1814 au château de Fontainebleau, l'avenir semble incertain. Surtout que têtu comme un corse, Napoléon revient durant ce qu'on appelle les Cent-Jours, et son ultime bataille sera sur ce territoire belge : la bataille de Waterloo le 18 juin 1815. L'énorme défaite le conduit à Sainte-Hélène où il finira sa vie. La Belgique se demande à quelle sauce elle va être manger par les grandes puissances …

Belgique néerlandaise : la discorde des régions

Le sort de la Belgique se situe en trois mots : Congrès de Vienne. Ce congrès se tient du 18 septembre 1814 au 9 juin 1815 pour instaurer un équilibre entre les grandes puissances européennes (l’Angleterre, la France, la Prusse, l’Autriche et la Russie) et que l'erreur impériale ne se reproduise plus. La France retrouve à peu près ses frontières de 1789, qui ressemblent à celles d'aujourd'hui, et les Bourbons reviennent sur le trône. Et entre autres décisions, la Belgique n'est plus aux mains des autrichiens mais annexés aux Provinces Unies, ce qui forme le Royaume uni des Pays-Bas. Pour faire simples, les Pays Bas espagnols de Charles Quint retrouvent à peu près leur forme originale. En guise de premier souverain, on se décide pour le fils du dernier stathouder, Guillaume d'Orange devient ainsi Guillaume Ie des Pays Bas. Bien sûr, la Belgique n'est pas consultée et subit, comme toujours.

Carte du Congrès de Vienne en 1815 (Wikipédia)
Le souverain de 43 ans a tout du despote éclairé dont on a déjà parlé, avec une envie de réforme combiné à une rigidité dont il faut s’accommoder. Ayant passé quelques années en exil, le roi a une vision d'un règne très personnel : une monarchie absolue sous couvert de quelques libertés constitutionnelles. Il le dit bien lui-même : « Que sont les ministres ? Rien du tout ! Je puis, si je le trouve bon, gouverner sans ministres, ou placer à la tête des départements ministériels qui bon me semble, fût-ce même un de mes palefreniers ». Tout comme en France est proclamée une Charte, il met en place la Gronwet, loi fondamentale. On peut y lire que les États Généraux n'avaient ni le droit d'initiative ni le droit d'amendement, juste accepter ou refuser en bloc, par exemple. Et si les hollandais, assez indifférents à la vie politique, s'accommodaient, les belges pointaient déjà du doigt les soucis à venir. Le 18 août 1815, Guillaume Ie prit l'initiative d'une nouvelle Constitution (le pays serait divisé en 17 provinces, un système bicaméral au niveau des chambres, une égalité parfaite de représentants belges et hollandais dans les chambres alors que le sud est deux fois plus peuple, liberté de culte). Elle fut rejetée par 796 contre 527 positif. Guillaume 1e, bon perdant fit ce calcul-ci : on comte les 280 abstentions comme des oui, et les 126 refus pour questions religieuses furent déclarés nuls. Cela fit donc 807 oui pour 610 non. Et hop, Constitution adoptée le 24 août 1815 !

Au départ, cette réunification pouvait être bénéfique : le sud apportait des terres agricoles fertiles, une industrie moderne, et le nord possède de nombreux ports et des colonies. D'ailleurs, Anvers peut à nouveau devenir un port, la navigation sur l'Escaut est à nouveau possible. Guillaume Ie continue à Bruxelles de grands travaux, notamment dans les palais. A Laeken, il fait construire un orangerie et un théâtre. A Gand, il poursuit les travaux du canal pour en faire un port et fait construire des routes dans toute la Belgique. Il encourageait l'industrie et fonda en 1822 la banque de dépôts « Société Générale pour favoriser l’Industrie nationale ». Autres bonnes mesures concernent l'éducation : le roi met en place l'enseignement primaire neutre, gratuit et obligatoire, ainsi que trois universités à Louvain, Liège et Gand, et rétablit Académie des Sciences et des belles Lettres de Bruxelles, fermée sous domination française.

Guillaume Ie des Pays Bas pars Mattheus Ignatius van Bree
Alors tout cela paraît bien sympathique, et ce fut bénéfique pour la Belgique, mais l'essor industriel s'accompagne de bas salaires, de journées de travail harassantes (12 à 14h par jour), l'exploitation des enfants malgré l'école et bien sûr la pauvreté. Mais il y avait déjà cela sous domination française. Alors pourquoi les belges n'arrivent pas à se sentir intégrés ? Déjà, il y a cette question politique d'un roi absolutiste et imbu de lui-même qui ne passe pas dans un pays au passé révolutionnaire. La barrière de la langue était un problème. Au départ, Guillaume Ie instaura le français et le néerlandais comme langue nationale, mais il revint sur sa décision en 1819 : le néerlandais serait la langue officielle du royaume. Mais un des plus grands problème est le manque de représentation de belges dans l'administration. Par exemple, il n'y avait qu'une ministre belge pour six hollandais, ou 17 hauts fonctionnaires sur 300 au total ! Quant à l'armée, on y comptait 6 généraux-majors sur 22 ou 400 officiers (dont 377 dans les colonies ! ) sur plus de 2.300 ! Si on rajoute une presse censurée, une dette de 1,25 milliards de florins divisée par deux (les belges n'avaient que 0,1 milliard de florins en dette), ainsi que la fermeture du Séminaire de Louvain dans le but d'écarter le clergé catholique, cela fait beaucoup !


Au fil des mesures impopulaires, les belges montraient clairement leur opposition à leur souverain, envoyaient des pétitions contre sa politique. Des soulèvements de plus en plus forts agitent la Belgique et cela touche toutes les couches de la population. Tiens, en quelle année sommes nous ? 1830. Et Guillaume Ie a un petit air de Charles X dans sa politique. Coïncidence ? Nous le saurons bientôt dans un prochain article !

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